Dans le cadre d’une démarche globale de QVT (Qualité de Vie au Travail) et de SST (Santé et Sécurité au Travail) l’enquête harcèlement joue un rôle crucial. En effet, le harcèlement moral ou sexuel en entreprise constitue un Risque Psycho-social (RPS) majeur nécessitant une prise en charge rigoureuse par l’employeur. Lorsqu’une situation de harcèlement est signalée, une enquête harcèlement au travail doit être menée afin de vérifier les faits et prendre les mesures nécessaires. Mais qui est réellement habilité à conduire cette enquête interne harcèlement ?
L’obligation légale de l’employeur
L’article L. 4121-1 du Code du travail impose à l’employeur une obligation de sécurité et de protection de la santé physique et mentale des travailleurs. En conséquence, dès qu’un signalement de harcèlement est porté à sa connaissance, il doit diligenter une enquête harcèlement afin d’évaluer la situation et mettre en place les actions correctives nécessaires. À défaut, sa responsabilité peut être engagée.
Les acteurs internes pouvant mener l’enquête
L’employeur ou un représentant désigné
L’enquête interne harcèlement peut être menée par l’employeur lui-même ou par un responsable des ressources humaines. Cependant, cette approche peut soulever des questions d’impartialité, notamment si le mis en cause ou la victime présumée occupe une position hiérarchique influente.
Les représentants du personnel
Le Comité Social et Économique (CSE), notamment via la Commission Santé, Sécurité et Conditions de Travail (CSSCT), peut être associé dans l’enquête harcèlement au travail. Les élus du personnel disposent d’un droit d’alerte et peuvent être saisis par les salariés victimes présumées ou témoins.
Le référent harcèlement
Dans les entreprises d’au moins 250 salariés, un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes doit être désigné par l’employeur (article L. 1153-5-1 du Code du travail). Ce référent peut jouer un rôle clé dans l’accompagnement et l’orientation des victimes mais il est recommandé que ses missions soient distinctes de celles de l’organe en charge de gérer le traitement des signalements et de mener les enquêtes internes harcèlement.
Outre le risque d’impartialité et le manque d’objectivité que revêt le recours à un acteur interne de l’entreprise pour réaliser une enquête sur un fait de harcèlement en entreprise, ces acteurs ne sont généralement pas formés à l’enquête et à la réalisation des auditions. De plus, les salariés auditionnés, seront toujours plus méfiants à l’égard d’un intervenant interne que d’un cabinet extérieur à l’entreprise, gage de neutralité.
Le recours à un acteur externe
Pourquoi les psychologues du travail ne sont-ils pas les mieux placés pour réaliser ces enquêtes ?
Bien que les psychologues du travail soient des experts en matière de santé mentale et de risques psychosociaux, leur rôle est avant tout orienté vers l’accompagnement des salariés et la prévention. Ils ne disposent généralement pas des compétences spécifiques en matière d’enquête interne harcèlement, notamment en ce qui concerne les techniques d’audition, l’analyse factuelle et la gestion des preuves. Leur approche, souvent centrée sur le bien-être psychologique, peut ne pas être adaptée à l’investigation rigoureuse et neutre requise pour établir des faits et garantir l’objectivité des conclusions. Par ailleurs, leur implication dans une enquête pourrait être perçue comme un biais, notamment si leur mission habituelle les amène à accompagner l’une des parties impliquées. C’est pourquoi il est préférable de confier ces investigations à des cabinets spécialisés disposant d’une expertise juridique et méthodologique en matière d’enquête interne.
Le recours à un avocat enquêteur : une fausse bonne idée
Les avocats peuvent être sollicités pour conseiller l’employeur sur les aspects juridiques du harcèlement en entreprise, mais ils ne sont pas les mieux placés pour mener une enquête harcèlement au travail. En effet, l’exercice d’une mission d’enquête requiert une totale neutralité et une approche méthodologique rigoureuse, alors que les avocats sont souvent engagés dans une logique de défense ou d’accompagnement stratégique. De plus, un avocat ne peut pas cumuler les fonctions d’enquêteur et de conseil juridique sur un même dossier sans risquer un conflit d’intérêts comme le précisent les articles 9 et 10 de l’annexe XXIV Vademecum de l’avocat chargé d’une enquête interne. Le terme « avocat enquêteur » lui-même est donc inadéquat et prête à confusion.
Il est donc préférable de confier les enquêtes internes harcèlement à des cabinets spécialisés dont l’unique mission est d’établir les faits de manière impartiale et objective, qu’ils retranscriront dans un rapport d’enquête sur lequel l’avocat pourra se fonder pour conseiller l’entreprise.
Un cabinet d’enquêteurs agréés : un gage d’impartialité et de savoir faire
Pour garantir l’objectivité de l’enquête harcèlement, l’employeur peut faire appel à un cabinet d’enquêteurs agréés spécialisés en prévention des risques psychosociaux. Ces professionnels doivent respecter une réglementation stricte et détenir une carte professionnelle garantissant un casier judiciaire vierge et le suivi d’une formation continue. Ils sont également soumis au secret professionnel et au respect du code de déontologie des enquêteurs privés.
Mais surtout, ces enquêteurs possèdent une expertise avérée en matière d’enquête et d’audition indispensable pour mener une enquête interne harcèlement efficace :
- Recueil des témoignages des parties concernées (victime présumée, mis en cause, témoins) dans un cadre confidentiel. Cette phase est particulièrement délicate et nécessite des compétences en techniques d’audition. Un enquêteur non formé pourrait influencer involontairement les réponses des témoins, compromettre la fiabilité des témoignages ou encore ne pas détecter d’éventuelles incohérences.
- Analyse des faits en s’appuyant sur des éléments objectifs (mails, enregistrements, rapports). Une mauvaise maîtrise des principes de collecte et d’évaluation des preuves pourrait mener à une interprétation biaisée des faits ou à la prise en compte d’éléments non probants.
- Rédaction d’un rapport d’enquête détaillant les faits constatés et les recommandations. L’élaboration d’un rapport nécessite une structuration claire et une rédaction objective pour éviter tout risque juridique ultérieur. Un professionnel non expérimenté dans l’enquête harcèlement pourrait rédiger un rapport incomplet ou imprécis, affaiblissant ainsi la crédibilité des conclusions.
- Aide à la décision pour la mise en place des mesures correctives (sanctions disciplinaires, sensibilisation, ajustement des conditions de travail, etc.). Une mauvaise appréciation des faits peut conduire à des mesures inadaptées, mettant en péril la gestion des risques et la prévention du harcèlement.
La possible obligation des enquêteurs internes à se conformer aux dispositions de l’article L. 621-1 du Code de la sécurité intérieure
Il n’est pas exclu à ce jour que les enquêtes internes soient soumise aux dispositions de l’article L. 621-1 du Code de la sécurité intérieure qui réglemente l’activité des agents exerçant des missions enquêtes privées. Cet article impose notamment certaines obligations en matière d’agrément et de formation, garantissant ainsi un cadre légal et éthique à l’exercice des missions d’enquête harcèlement. Cette activité réglementée dispose déjà d’un code de déontologie repris point par point par le Défenseur des Droits dans ses recommandations.
Conclusion
L’enquête harcèlement au travail est une démarche complexe qui nécessite l’intervention de plusieurs professionnels aux compétences complémentaires. Afin d’assurer une prise en charge optimale des situations de harcèlement, chaque acteur doit intervenir dans son champ d’expertise.
Les psychologues du travail ont un rôle central dans l’écoute et l’accompagnement des victimes. Leur expertise en santé mentale leur permet de soutenir les personnes affectées par une situation de harcèlement et de contribuer à la prévention des risques psychosociaux au sein de l’entreprise.
Les avocats, quant à eux, interviennent dans l’analyse juridique des faits et le conseil en matière d’actions correctives et de sanctions disciplinaires. Leur connaissance du cadre légal permet d’orienter l’employeur vers des décisions conformes aux obligations légales et aux principes de droit du travail.
Enfin, la réalisation d’une enquête interne harcèlement doit être confiée à des enquêteurs agréés, formés aux techniques d’investigation et d’audition. Leur intervention garantit une analyse impartiale et rigoureuse des faits, permettant à l’employeur de prendre des décisions éclairées et sécurisées juridiquement.
Cette répartition des rôles assure une réponse efficace et équilibrée aux situations de harcèlement en entreprise, contribuant à un environnement de travail sain et respectueux pour tous.