Les administrations publiques et les collectivités territoriales, en tant qu’employeurs, ont une obligation légale de protection de leurs agents. Cette responsabilité s’étend particulièrement aux situations de harcèlement moral et sexuel qui peuvent survenir dans l’environnement professionnel. Face à l’augmentation des signalements et à une prise de conscience collective sur ces problématiques, la mise en place d’enquêtes administratives pour harcèlement, appelées enquêtes internes dans le secteur privé, est devenue un outil essentiel dans le traitement de ces situations complexes.
En 2023, selon les chiffres du ministère de la Fonction publique, près de 30% des agents publics déclaraient avoir été témoins de situations de harcèlement au cours de leur carrière, et 15% rapportaient en avoir été directement victimes. Ces statistiques témoignent d’une réalité préoccupante qui nécessite une réponse institutionnelle adaptée et rigoureuse.
L’enquête administrative constitue précisément l’un des mécanismes permettant aux employeurs publics de répondre à leur obligation de protection, tout en garantissant une procédure équitable pour l’ensemble des parties concernées. Elle représente une étape cruciale dans le traitement des signalements, permettant d’établir la matérialité des faits, de déterminer les responsabilités et, le cas échéant, de prendre les mesures appropriées.
De plus en plus d’administrations font appel à des enquêteurs agréés externes pour mener ces enquêtes sensibles, apportant ainsi un regard neutre et professionnel indispensable à l’établissement de la vérité et au respect des droits de chacun.
Cet article propose d’explorer en profondeur le cadre juridique, les méthodologies et les enjeux relatifs à la conduite d’enquêtes administratives suite à des signalements de harcèlement moral et sexuel dans le secteur public. Il s’adresse aux responsables des ressources humaines, aux encadrants, aux référents déontologues, aux élus locaux et à tous les professionnels impliqués dans la prévention et le traitement de ces situations au sein des administrations publiques et des collectivités territoriales.
Partie I : Cadre juridique et définitions
A. Définitions légales du harcèlement dans la fonction publique
1. Le harcèlement moral
Le harcèlement moral dans la fonction publique a été défini par l’article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, modifiée par la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Cette définition a été alignée sur celle du Code du travail pour garantir une protection équivalente à celle du secteur privé. Elle est désormais codifiée à l’article L133-2 du Code Général de la Fonction Publique.
Selon ces dispositions, le harcèlement moral se caractérise par « des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de l’agent, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
Plusieurs éléments constitutifs doivent être réunis pour qualifier le harcèlement moral :
- La répétition d’agissements
- La dégradation des conditions de travail
- L’atteinte potentielle aux droits, à la dignité ou à la santé de l’agent
- Un lien de causalité entre les agissements et cette dégradation
La jurisprudence administrative a progressivement précisé cette définition. Ainsi, le Conseil d’État (CE, 11 juillet 2011, n° 321225) a établi que pour caractériser le harcèlement moral, il n’est pas nécessaire que l’auteur ait eu l’intention de nuire ; seul l’effet produit par les agissements est pris en compte. De même, dans un arrêt du 25 novembre 2011 (n° 353839), le Conseil d’État a précisé que le harcèlement moral peut être constitué « indépendamment de l’intention de son auteur dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du fonctionnaire. »
La complexité de ces situations justifie souvent le recours à un enquêteur privé spécifiquement formé aux risques psycho-sociaux, dont l’expertise permet d’identifier avec précision les éléments constitutifs du harcèlement moral et de les documenter de manière objective et méthodique.
2. Le harcèlement sexuel
Le harcèlement sexuel dans la fonction publique a été défini par l’article 6 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983. Cette définition a été précisée et élargie par la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, puis complétée par la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Elle est désormais codifiée à l’article L133-1 du Code Général de la Fonction Publique.
Selon ces textes, le harcèlement sexuel se définit comme :
- Soit des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui portent atteinte à la dignité d’une personne en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante
- Soit toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers
Contrairement au harcèlement moral, le harcèlement sexuel peut être constitué par un acte unique s’il s’agit d’une pression grave. La jurisprudence administrative (CAA de Versailles, 16 juillet 2014, n° 12VE03463) a notamment reconnu que « des propos ou comportements à connotation sexuelle non désirés et répétés constituent un harcèlement sexuel, quand bien même ces actes n’auraient pas été accompagnés de pressions ou de menaces. »
La loi du 3 août 2018 a également introduit la notion de harcèlement sexuel d’ambiance, reconnaissant comme constitutifs de harcèlement sexuel des propos ou comportements imposés à une personne, même si celle-ci n’en est pas directement destinataire, dès lors qu’ils créent une situation intimidante, hostile ou offensante.
La nature particulièrement sensible des affaires de harcèlement sexuel rend l’intervention d’un enquêteur agréé extérieur souvent indispensable, notamment pour garantir la confidentialité des témoignages et permettre aux victimes de s’exprimer plus librement face à un professionnel indépendant des jeux de pouvoir internes à l’administration.
B. Obligations légales des employeurs publics
1. Obligation de prévention
L’article 23 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 impose aux administrations et collectivités une obligation générale de protection de la santé physique et mentale des agents. Cette obligation a été renforcée par l’article 108-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 qui rend applicables les règles d’hygiène et de sécurité du Code du travail aux collectivités territoriales.
Le décret n° 2020-256 du 13 mars 2020 relatif au dispositif de signalement des actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d’agissements sexistes dans la fonction publique est venu renforcer ces obligations en imposant la mise en place d’un dispositif de signalement, de traitement et de suivi des actes de harcèlement. Ce dispositif est désormais codifié à l’article L135-6 du Code de la Fonction Publique.
Concrètement, les employeurs publics doivent :
- Mettre en place des actions de prévention (formations, sensibilisations)
- Désigner un référent « harcèlement sexuel et agissements sexistes »
- Établir des procédures claires de signalement et de traitement des situations
- Informer les agents sur ces dispositifs
Le Conseil d’État, dans un arrêt du 6 décembre 2017 (n° 401264), a rappelé que « l’autorité administrative est tenue, en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des agents placés sous son autorité. »
Dans le cadre de cette obligation de prévention, le recours à un expert privé pour des audits préventifs ou des formations spécialisées peut constituer une démarche proactive démontrant la volonté de l’employeur public de traiter sérieusement ces problématiques et de se doter d’outils professionnels adaptés.
2. Obligation de réaction face aux signalements
Face à un signalement, l’obligation d’action de l’employeur public est impérative. Cette obligation découle non seulement des textes précités mais aussi de l’article 40 du Code de procédure pénale qui impose à tout fonctionnaire ayant connaissance d’un crime ou d’un délit d’en informer « sans délai » le procureur de la République.
La jurisprudence a régulièrement sanctionné les employeurs publics n’ayant pas réagi adéquatement face à des signalements. Ainsi, le Conseil d’État (CE, 28 juin 2019, n° 415863) a reconnu la responsabilité d’une administration qui n’avait pas pris les mesures nécessaires pour faire cesser des agissements de harcèlement moral dont elle avait connaissance.
L’obligation de réaction implique :
- Une prise en compte immédiate du signalement
- La mise en œuvre de mesures conservatoires si nécessaire
- Le déclenchement d’une procédure d’enquête administrative
- L’information du procureur de la République en cas de présomption d’infraction pénale
Le recours à un enquêteur agréé peut constituer une réponse particulièrement adaptée à cette obligation, en garantissant une réaction rapide, professionnelle et impartiale. La diligence dont fait preuve l’administration en mandatant promptement un professionnel indépendant peut être un élément déterminant en cas de contentieux ultérieur sur la responsabilité de l’employeur.
3. Articulation avec la protection fonctionnelle
La protection fonctionnelle, prévue par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, codifiée aux articles L134-1 et suivants du code de la Fonction Publique constitue un droit pour l’agent public victime de harcèlement. L’administration ne peut refuser d’accorder cette protection que pour des motifs d’intérêt général dûment justifiés ou s’il est établi que les faits allégués ne sont manifestement pas constitutifs de harcèlement.
Le Conseil d’État (CE, 12 mars 2010, n° 308974) a précisé que « le bénéfice de la protection fonctionnelle ne peut être refusé que pour des motifs tirés de l’intérêt général ou de faits détachables du service, et non en raison d’une appréciation portée par l’administration sur le bien-fondé de la plainte de l’agent. »
Dans le cadre d’une enquête administrative, l’employeur public doit donc veiller à :
- Informer les agents de leur droit à la protection fonctionnelle
- Instruire avec diligence les demandes de protection
- Ne pas conditionner l’octroi de cette protection aux résultats de l’enquête administrative
- Garantir cette protection tant aux agents qui se déclarent victimes qu’à ceux qui sont mis en cause, dès lors qu’ils n’ont pas commis de faute personnelle
L’intervention d’un enquêteur agréé extérieur peut faciliter la mise en œuvre de la protection fonctionnelle en fournissant à l’administration des éléments objectifs et détaillés sur lesquels fonder sa décision, tout en évitant les risques de partialité ou de conflit d’intérêts qui pourraient entacher une enquête interne.
Partie II : Méthodologie de l’enquête administrative
A. Déclenchement de l’enquête
1. Réception et qualification du signalement
Le signalement peut provenir de diverses sources : la victime présumée, un témoin, un représentant du personnel, un médecin, etc. Il peut être formalisé par écrit ou exprimé oralement, dans ce dernier cas, il est recommandé de l’établir par écrit pour en conserver une trace.
À réception du signalement, l’autorité compétente doit procéder à une première qualification juridique des faits allégués pour déterminer s’ils sont susceptibles de constituer du harcèlement moral ou sexuel. Cette qualification préliminaire est importante car elle orientera la suite de la procédure.
Le décret n° 2020-256 du 13 mars 2020 prévoit que le dispositif de signalement doit préciser les modalités de recueil des signalements ainsi que les actions d’information, d’accompagnement et de protection des agents concernés.
Pour garantir un traitement approprié, il convient de :
- Accuser réception du signalement dans un délai raisonnable (idéalement sous 48 heures)
- Recueillir les premiers éléments factuels
- Évaluer le degré d’urgence et la nécessité de mesures conservatoires
- Informer l’agent signalant de ses droits et des suites qui seront données
Dès cette phase initiale, le recours à un enquêteur agréé peut s’avérer judicieux pour procéder à une première évaluation neutre de la situation et conseiller l’administration sur les mesures immédiates à mettre en œuvre. Sa formation juridique spécifique lui permet d’effectuer une qualification précise des faits signalés et d’orienter efficacement la procédure.
2. Décision d’enquêter et information des parties
La décision de déclencher une enquête administrative relève de l’autorité territoriale ou administrative compétente. Cette décision doit être formalisée, généralement par un arrêté ou une note de service précisant :
- L’objet de l’enquête
- Le périmètre d’investigation
- La composition de la commission d’enquête
- Les délais prévisionnels
Le Conseil d’État (CE, 30 décembre 2014, n° 367000) a rappelé que « l’administration, informée de faits susceptibles de constituer des actes de harcèlement moral, doit procéder à une enquête afin d’en vérifier la réalité. »
Les parties concernées (agent signalant et personne mise en cause) doivent être informées de l’ouverture de l’enquête, dans des conditions qui préservent la confidentialité et la présomption d’innocence. Cette information doit préciser :
- Le cadre juridique de l’enquête
- Les garanties procédurales (droit d’être entendu, possibilité d’être assisté, etc.)
- Les conséquences potentielles de l’enquête
- Le caractère confidentiel de la procédure
La décision de faire appel à un enquêteur privé extérieur peut être mentionnée dans cet acte de lancement d’enquête, ce qui renforce la crédibilité de la démarche aux yeux des parties et témoigne de la volonté de l’administration de traiter le signalement avec le plus grand professionnalisme. Cette démarche peut contribuer à apaiser les tensions et à instaurer un climat de confiance propice au bon déroulement de l’enquête.
3. Mise en place éventuelle de mesures conservatoires
Dans certaines situations, la gravité des faits allégués ou le risque de réitération peut justifier la mise en place de mesures conservatoires. Ces mesures visent à protéger la victime présumée et à préserver le bon fonctionnement du service, sans préjuger de l’issue de l’enquête.
Parmi les mesures conservatoires possibles figurent :
- La suspension de l’agent mis en cause (article 30 de la loi du 13 juillet 1983)
- La réorganisation temporaire du service
- La mutation provisoire dans l’intérêt du service
- L’aménagement des conditions de travail (horaires, lieu, etc.)
La jurisprudence administrative a précisé que ces mesures doivent être proportionnées et strictement nécessaires. Ainsi, le Conseil d’État (CE, 23 décembre 2011, n° 341692) a jugé que « la suspension d’un fonctionnaire ne peut être légalement prononcée que si les faits qui lui sont reprochés présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité. »
Un enquêteur privé extérieur, grâce à son expertise en gestion de crise et à son regard extérieur, peut conseiller efficacement l’administration sur la nature et l’étendue des mesures conservatoires à mettre en place, en veillant à leur proportionnalité et à leur pertinence juridique.
B. Constitution et composition de la commission d’enquête
1. Critères de choix des enquêteurs
Le choix des enquêteurs est déterminant pour la qualité et la légitimité de l’enquête. Plusieurs critères doivent guider ce choix :
- L’impartialité et la neutralité : les enquêteurs ne doivent pas avoir de lien hiérarchique ou personnel avec les parties concernées. Le Conseil d’État (CE, 15 avril 2015, n° 373893) a ainsi annulé une procédure disciplinaire fondée sur une enquête administrative menée par le supérieur hiérarchique direct de l’agent mis en cause.
- La compétence : les enquêteurs doivent disposer des connaissances juridiques et procédurales nécessaires pour mener à bien leur mission. Une formation aux techniques d’entretien et à la thématique du harcèlement est fortement recommandée.
- La diversité : dans la mesure du possible, la commission d’enquête devrait refléter une diversité de genre, de fonctions et de qualifications, permettant d’appréhender la situation sous différents angles.
- L’expérience : la présence d’au moins un enquêteur expérimenté est un gage de qualité et de rigueur dans la conduite de la procédure.
L’enquêteur privé agréé répond parfaitement à ces critères, particulièrement en ce qui concerne l’impartialité et la compétence. Formé spécifiquement aux techniques d’enquête et disposant d’une connaissance approfondie du cadre juridique du harcèlement, il apporte une expertise que l’on retrouve rarement en interne dans les administrations et collectivités.
2. Composition interne ou recours à des intervenants externes
L’autorité compétente peut opter pour une commission d’enquête composée uniquement d’agents internes à la structure, ou faire appel à des intervenants externes. Chaque option présente des avantages et des inconvénients :
Composition interne :
- Avantages : connaissance du contexte institutionnel, disponibilité, coût limité
- Inconvénients : risque de partialité perçue, difficulté à maintenir la confidentialité, manque potentiel d’expertise spécifique
Intervenants externes :
- Avantages : neutralité renforcée, expertise spécialisée, distance émotionnelle
- Inconvénients : coût plus élevé.
En pratique, une composition mixte associant des membres internes (DRH, représentant du personnel) et externes (enquêteur spécialisé, juriste) peut constituer un bon compromis.
Le recours à un enquêteur privé extérieur trouve son fondement juridique dans l’article 33-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 qui permet aux comités sociaux territoriaux de faire appel à des experts agréés.
L’intégration d’un enquêteur agréé au sein de la commission d’enquête ou le fait de lui confier l’entière responsabilité de l’enquête présente des avantages considérables en termes de crédibilité et de rigueur de la procédure. Sa formation aux techniques d’enquête, sa maîtrise des entretiens non-directifs et sa connaissance approfondie de la jurisprudence en matière de harcèlement constituent des atouts majeurs pour garantir la solidité juridique des conclusions.
3. Lettre de mission et cadrage de l’enquête
Une fois la commission d’enquête constituée, une lettre de mission formelle doit être établie. Ce document, signé par l’autorité compétente, précise :
- Le périmètre exact de l’enquête : faits à investiguer, période concernée, personnes impliquées
- Les pouvoirs d’investigation : accès aux documents, possibilité d’auditionner des témoins, visite des locaux
- Les délais impartis : date de début et de fin prévisionnelle de l’enquête
- Les moyens alloués : temps dédié, ressources matérielles, assistance administrative
- Les modalités de restitution : forme du rapport, destinataires, niveau de confidentialité
Cette lettre de mission constitue le cadre de référence de l’enquête et garantit sa légitimité. Elle peut être communiquée, à leur demande, aux parties concernées pour assurer la transparence de la procédure.
Le Conseil d’État (CE, 21 décembre 2018, n° 410411) a souligné l’importance de ce cadrage formel en précisant que « les enquêteurs doivent agir dans le strict cadre de la mission qui leur a été confiée et ne peuvent se livrer à des investigations qui excéderaient ce cadre. »
Lorsqu’un enquêteur privé extérieur est mandaté, la lettre de mission revêt une importance particulière pour définir précisément le champ de son intervention et les pouvoirs qui lui sont délégués. Cette formalisation constitue une garantie tant pour l’administration que pour l’enquêteur et les personnes concernées par l’enquête.
C. Conduite des investigations
1. Recueil des témoignages et auditions
Le recueil des témoignages constitue généralement le cœur de l’enquête administrative. Cette étape doit être menée avec rigueur et méthode pour garantir la fiabilité des informations collectées.
Un ordre logique d’audition est généralement recommandé :
- L’agent signalant (victime présumée)
- Les témoins directs et indirects
- La personne mise en cause
- Éventuellement, une seconde audition des parties pour clarifier des contradictions
Chaque audition doit faire l’objet d’un procès-verbal signé par la personne entendue. Le refus de signer doit être mentionné. Ces procès-verbaux doivent comporter :
- Date, heure et lieu de l’audition
- Identité des enquêteurs présents
- Identité et qualité de la personne entendue
- Retranscription fidèle des déclarations
- Signature des parties
La jurisprudence administrative (CAA de Douai, 16 mai 2012, n° 11DA00969) a précisé que « les témoignages recueillis dans le cadre d’une enquête administrative doivent être corroborés par des éléments objectifs pour pouvoir fonder légalement une sanction disciplinaire. »
C’est précisément dans cette phase cruciale que l’expertise d’un enquêteur agréé extérieur prend toute sa valeur. Formé aux techniques d’audition non suggestives, maîtrisant l’art du questionnement ouvert et de la reformulation, il sait créer un climat de confiance propice à l’expression libre des témoins. Sa neutralité facilite l’expression de témoignages qui pourraient être retenus face à des enquêteurs internes, perçus comme potentiellement impliqués dans les jeux de pouvoir institutionnels.
2. Collecte et analyse des preuves documentaires
Outre les témoignages, l’enquête administrative doit s’appuyer sur des éléments matériels objectifs. Plusieurs types de documents peuvent être pertinents :
- Communications écrites : emails, SMS, notes de service, courriers
- Documents administratifs : fiches de poste, comptes rendus d’entretien, évaluations professionnelles
- Éléments techniques : journaux de connexion informatique, badges d’accès, enregistrements vidéo (dans le respect du RGPD)
L’accès à ces documents doit respecter le cadre légal, notamment les règles relatives à la protection des données personnelles. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) et la loi Informatique et Libertés imposent des limites strictes à la collecte et au traitement de ces informations.
L’analyse de ces documents doit être méthodique et objective, en les replaçant dans leur contexte et en établissant des liens chronologiques. Une timeline des événements peut s’avérer particulièrement utile pour objectiver la répétition d’agissements, élément constitutif du harcèlement moral.
L’enquêteur privé extérieur, grâce à sa formation en matière d’analyse documentaire et de recherche d’indices, est particulièrement qualifié pour procéder à la collecte et à l’examen de ces éléments probants. Sa connaissance des contraintes légales en matière de preuve lui permet également d’éviter les écueils qui pourraient fragiliser juridiquement l’enquête, notamment concernant le respect du RGPD dans la collecte et l’utilisation des données.
3. Respect des droits de la défense et du contradictoire
Tout au long de l’enquête, le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire est fondamental. Ces principes, consacrés par la jurisprudence administrative (CE, 24 juin 2011, n° 338461), imposent que :
- Chaque partie soit informée des allégations portées à son encontre
- Chaque partie puisse présenter ses observations et arguments
En pratique, cela implique pour les enquêteurs de :
- Informer précisément la personne mise en cause des faits qui lui sont reprochés
- Permettre à chaque partie de répondre aux allégations de l’autre
- Confronter les versions contradictoires (sans nécessairement organiser une confrontation physique, potentiellement traumatisante)
- Mentionner dans le rapport final l’ensemble des arguments avancés par chaque partie
Le non-respect de ces principes peut entraîner l’annulation de la procédure, comme l’a rappelé le Conseil d’État (CE, 17 mars 2017, n° 397901) en précisant que « le respect des droits de la défense exige que l’agent mis en cause soit mis à même de prendre connaissance de tous les éléments de son dossier, y compris les témoignages recueillis à charge. »
L’enquêteur privé extérieur, de par sa formation juridique et son expérience des procédures contentieuses, est particulièrement vigilant au respect de ces garanties procédurales. Sa maîtrise du formalisme nécessaire et sa connaissance précise des exigences jurisprudentielles en la matière constituent une sécurité juridique supplémentaire pour l’administration.
4. Confidentialité et protection des données
La confidentialité est un principe cardinal de l’enquête administrative. Elle vise à protéger la dignité des personnes concernées, à préserver le climat de travail et à garantir la sincérité des témoignages.
Cette obligation de confidentialité trouve son fondement juridique dans :
- L’article 26 de la loi du 13 juillet 1983 relatif au secret professionnel
- L’article 9 du RGPD concernant le traitement des données sensibles
- L’article 226-13 du Code pénal sanctionnant la violation du secret professionnel
Concrètement, les enquêteurs doivent :
- Limiter l’accès aux documents de l’enquête aux seules personnes habilitées
- Anonymiser les témoignages lorsque cela est nécessaire pour protéger les témoins
- Sécuriser le stockage des données recueillies
- Informer systématiquement les personnes auditionnées de l’obligation de confidentialité
- Éviter toute communication sur l’enquête en dehors du cadre formel
La CNIL, dans sa délibération n° 2019-139 du 12 septembre 2019, a précisé les conditions dans lesquelles les données relatives à une enquête interne peuvent être traitées, notamment en termes de durée de conservation et de droit d’accès des personnes concernées.
Le recours à un enquêteur privé extérieur présente l’avantage significatif de limiter les risques de fuites d’informations au sein de l’administration. Tenu au secret professionnel par son statut, l’enquêteur privé dispose généralement de procédures sécurisées pour le traitement et la conservation des données sensibles. Sa position externe à l’organisation réduit considérablement les risques de diffusion inopportune d’informations, préservant ainsi la dignité des personnes impliquées et l’intégrité de la procédure.
D. Élaboration du rapport d’enquête
1. Structure et contenu du rapport
Le rapport d’enquête administrative doit être structuré de manière à présenter clairement les faits établis, l’analyse et les conclusions. Une structure type pourrait comprendre :
Introduction :
- Rappel du cadre juridique et du contexte du signalement
- Présentation de la méthodologie suivie
- Composition de la commission d’enquête
Exposé des faits :
- Chronologie détaillée des événements
- Synthèse des témoignages recueillis
- Présentation des éléments matériels collectés
Analyse juridique :
- Qualification des faits au regard des définitions légales
- Examen des éléments constitutifs du harcèlement
- Discussion des arguments contradictoires
Conclusions :
- Établissement ou non de la matérialité des faits
- Propositions de mesures à prendre
- Recommandations pour prévenir des situations similaires
Annexes :
- Procès-verbaux d’audition
- Copies des documents probants
- Bibliographie juridique
La jurisprudence administrative (CE, 27 mai 2019, n° 426422) a précisé que « le rapport d’enquête doit présenter de manière objective les faits établis et les éléments de preuve recueillis, sans se limiter à une simple juxtaposition de témoignages. »
2. Formulation des conclusions et recommandations
Les conclusions du rapport doivent être formulées avec rigueur et prudence, en s’appuyant sur des faits objectivement établis. Elles doivent préciser :
- Si les faits allégués sont matériellement établis
- Si ces faits, tels qu’établis, sont constitutifs de harcèlement moral ou sexuel
- Les circonstances aggravantes ou atténuantes éventuelles
- L’existence de dysfonctionnements organisationnels ayant pu contribuer à la situation
Les recommandations peuvent porter sur :
- Les mesures individuelles à prendre concernant les personnes impliquées
- Les actions collectives visant à améliorer l’organisation ou le climat de travail
- Les dispositifs de prévention à renforcer
- Le suivi à mettre en place pour éviter la réitération des faits
Ces recommandations doivent être proportionnées, réalistes et en adéquation avec les faits établis. Elles peuvent s’appuyer sur les bonnes pratiques reconnues dans ce domaine, comme celles préconisées par la circulaire du 9 mars 2018 relative à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans la fonction publique.
3. Restitution et communication du rapport
La restitution du rapport d’enquête est une étape délicate qui doit concilier plusieurs impératifs :
- Le droit à l’information des parties concernées
- La protection de la confidentialité
- La préparation des suites à donner
Le rapport complet est généralement remis à l’autorité territoriale ou administrative qui a diligenté l’enquête. Une version anonymisée peut être communiquée aux parties directement concernées (agent signalant et personne mise en cause), dans le respect du principe du contradictoire.
La communication plus large du rapport doit être strictement encadrée. Le Conseil d’État (CE, 25 juin 2003, n° 251833) a précisé que « les documents élaborés dans le cadre d’une enquête administrative préalable à une procédure disciplinaire ne sont communicables qu’aux personnes directement concernées. »
Partie III : Suites et conséquences de l’enquête administrative
A. Mesures de protection et d’accompagnement de la victime
Lorsque l’enquête administrative établit la réalité du harcèlement, l’employeur public doit mettre en œuvre des mesures de protection et d’accompagnement de la victime. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre de l’obligation de protection fonctionnelle prévue par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983.
Ces mesures peuvent inclure :
- Accompagnement médico-psychologique : orientation vers le médecin de prévention, prise en charge psychologique, consultations spécialisées
- Soutien administratif : aide aux démarches administratives, maintien de la rémunération pendant les arrêts maladie liés aux faits de harcèlement
- Aménagement professionnel : adaptation du poste de travail, modification des horaires, mobilité choisie
- Soutien juridique : prise en charge des frais d’avocat, accompagnement dans les procédures judiciaires
La jurisprudence a précisé l’étendue de cette obligation. Ainsi, le Conseil d’État (CE, 21 octobre 2013, n° 364098) a jugé que « l’administration est tenue de prendre sans délai les mesures propres à assurer la protection de l’agent victime de harcèlement, y compris en l’affectant, à sa demande, dans un autre service. »
L’article L133-3 du CGFP prévoit qu’aucune mesure défavorable ne peut être prise à l’égard d’un agent qui a témoigné ou relaté des faits de harcèlement. Cette protection contre les représailles doit être effective et se traduire par une vigilance particulière de l’employeur.
B. Mesures disciplinaires à l’encontre de l’auteur
Lorsque l’enquête conclut à l’existence de faits de harcèlement moral ou sexuel, l’employeur public peut engager une procédure disciplinaire à l’encontre de l’auteur. Cette procédure est encadrée par les articles 19 et suivants de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 et par le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 pour les fonctionnaires.
L’échelle des sanctions applicable comprend quatre groupes, selon l’article 89 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 :
- Premier groupe : avertissement, blâme, exclusion temporaire de trois jours maximum
- Deuxième groupe : radiation du tableau d’avancement, abaissement d’échelon, exclusion temporaire de quatre à quinze jours
- Troisième groupe : rétrogradation, exclusion temporaire de seize jours à deux ans
- Quatrième groupe : mise à la retraite d’office, révocation
Le choix de la sanction doit être proportionné à la gravité des faits. La jurisprudence administrative (CAA de Nancy, 20 octobre 2016, n° 15NC00845) a validé la révocation d’un fonctionnaire territorial auteur de harcèlement sexuel, estimant que « la gravité des faits justifiait la sanction la plus lourde malgré l’absence d’antécédents disciplinaires.
C. Mesures disciplinaires suite à dénonciation calomnieuse
Si l’enquête démontre l’absence de faits constitutifs de harcèlement ou si les allégations ne sont pas suffisamment étayées, il peut être prononcé un classement sans suite par l’autorité administrative.
En revanche, lorsque l’enquête conclut à l’absence de faits de harcèlement moral ou sexuel et à la volonté de l’agent signalant de porter sciemment atteinte à la réputation de la personne accusée à tort, le dénonciateur risquera les mêmes sanctions disciplinaires. En effet, La dénonciation calomnieuse constitue un manquement à l’obligation de probité et de dignité du fonctionnaire, ainsi qu’une atteinte grave au devoir de loyauté envers l’administration et les collègues.
En parallèle des sanctions administratives, une dénonciation calomnieuse peut entraîner :
- Poursuites pénales sur le fondement de l’article 226-10 du Code pénal qui punit la dénonciation calomnieuse de 5 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende
- Action civile de la personne injustement mise en cause pour obtenir réparation du préjudice subi.
Il est cependant important de noter que la loi protège les agents qui signalent de bonne foi des faits de harcèlement, même si ces faits ne sont finalement pas confirmés par l’enquête. La distinction entre signalement de bonne foi et dénonciation calomnieuse repose sur l’intention et la connaissance de la fausseté des faits au moment du signalement.
La charge de la preuve de la mauvaise foi incombe généralement à l’administration, qui doit démontrer que l’agent avait conscience de la fausseté des faits qu’il dénonçait.
Pour conclure, l’enquêteur agréé externe apporte une neutralité et une impartialité essentielles, étant libre de tout conflit d’intérêt interne à l’organisation. Sa méthodologie professionnelle et son expertise spécifique garantissent une investigation rigoureuse, conforme aux cadres légaux. Cette externalisation renforce la crédibilité des conclusions, rassure les parties prenantes et protège juridiquement l’employeur. L’enquêteur externe peut également offrir une perspective nouvelle sur le climat organisationnel et formuler des recommandations adaptées pour prévenir de futures situations similaires, tout en préservant la confidentialité nécessaire au bon déroulement de l’enquête.